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  • La guerre d’Algérie en métropole

Lorsqu’elle a commencé à la Toussaint 1954 (pour finir par les Accords d’evian le 19 mars 1962), c’était encore l’époque des deux polices sN et PP que j’ai évoquées plus haut. Ce fut une raison supplémentaire de zizanie entre les deux maisons. Effectivement, les membres de la sN (commissariats des villes de province, y compris les trois départements algériens, Crs) “fonctionnaires d’etat” furent envoyés, principalement les Crs, en opération de maintien de l’ordre en Algérie. ils furent naturellement les premières victimes des “événements”. il ne fallait surtout pas dire la “guerre d’Algérie”.

Les policiers parisiens, fonctionnaires des “collectivités territoriales” se prélassaient à Paris et le département de la seine. Ça ne pouvait pas durer. Tant que les Algériens, qu’il fallait appeler FMA “Français Musulmans d’Algérie” sous peine de sanctions, se battaient entre eux, “Mouvement National Algérien” (MNA) contre “Front de Libération National (FLN), la police parisienne se contentait de compter les coups, observant une prudente neutralité.

Tout devait changer lorsque le FLN vint à bout du MNA. Vainqueur, au moins sur ses frères, il voulut prolonger le conflit dans la métropole. Des documents avaient été saisis en Algérie où il était question d’attentats contre les militaires et les forces de l’ordre. Nous étions visés.

Brigadier à sceaux, notre patron avait fait une réunion de ses cadres pour les mettre en garde et faire des conférences à ce sujet à l’ensemble du personnel. Je me souviens de la réflexion de l’un d’entre nous : « et bien ! qu’ils viennent, les “bicots”, ils verront si on se laissera faire. »

Ils sont venus, ont fait chuter la 4e république, provoqué le retour du “Grand Charles”. Puis la révolte des généraux et bien d’autres événements dramatiques. Mais j’arrête là mon cours d’histoire et reviens à mon sujet : les gaietés de…

Donc, on ne les craignait pas, ils ne nous auront pas et… toutes les semaines environ, de 55 à 62, un flic était abattu dans les rues de Paris. Les premières victimes furent deux employés des pompes funèbres. ils étaient à l’époque en bicyclettes et vêtus d’une pélerine semblable à celle de nos agents cyclistes, ce qui explique la méprise, ce qui fit rire les lourdauds : « ils sont même pas foutus de reconnaître nos tenues ! »

Ils devaient cependant faire de rapides progrès et apprendre à reconnaître nos uniformes au point d’abattre un gardien de la paix presque hebdomadairement, sur le territoire de la PP. Qui attendant son bus, en plein jour, abattu de dos, à côté d’autres voyageurs indemnes, l’autre sur un quai du métro, ou un cycliste arrêté à un feu rouge, tiré par les passagers d’une voiture, partout, pour démontrer qu’ils pouvaient frapper àtout moment et n’importe où, de manière à provoquer la réaction des intéressés. Appliquant des techniques de guerre psychologiques vieilles comme le monde et largementemployées par nos résistants pendant l’occupation. Je ne citerai que trois victimes que j’ai personnellement connues.

André, gardien de la paix à Boulogne. il fut une des premières victimes. C’est la plus simple et aussi la plus stupide. Plus ou moins alcoolique, très démago, il se vantait de ses bonnes relations avec les FMA et jouait au conciliateur en fréquentant leurs bars et milieux jusqu’au jour où un commando du FLN mit fin à ses fréquentations en l’abattant dans un de ces établissements.

Le Doran, également gardien à Boulogne. son cas est différent. Ange Le Doran avait mon âge. il avait pris délibérément le parti de l’Algérie française et s’était porté volontaire dans les brigades anti-terroristes. Je n’insisterai pas sur les méthodes particulières d’investigation de ces formations. C’était la guerre civile, la pire, même si l’euphémisme “événement” était la règle, la stratégie était la même dans les deux camps, et elle générait la même inhumanité. il devait s’y faire remarquer au point qu’un jour, un commando l’attendait à proximité de son domicile. Grièvement blessé, il réussit à fuir et à se protéger derrière le muret de clôture de son pavillon, rue Diaz à Boulogne. rattrapé par les tueurs, il fut achevé à bout portant, pratiquement sous les yeux de sa famille.

Récemment en poste à sceaux, je devais entendre, en direct, la radio du car de Boulogne signalant le déroulement de la fusillade.

Il repose au cimetière de Billancourt.

Le miraculé des brigades anti-terroristes. Encore une affaire sortant de l’ordinaire. Roger, faisait également partie de ces formations spécialisées. il y en avait une par district. Voitures légères anonymes équipées d’un brigadier et trois hommes dont le chauffeur, sur-armés. elles patrouillaient dans les secteurs à risques et intervenaient à chaque attentat. Bien sûr, il y avait des périodes calmes, souvent de fausses alertes comme plus tard avec l’OAS. L’habitude du danger aidant, les précautions de sûreté avaient tendance à se relâcher. Roger reçut un jour un message radio signalant la présence d’un commando FLN dans un bar d’Issy-les-Moulineaux, un de plus. Avec son équipage, il se rendit sur place. il y avait effectivement des FMA jouant aux dominos. ils contrôlèrent les identités et allaient réembarquer lorsque les membres du FLN, jusqu’ici dissimulés dans la cuisine du restaurant, ouvrirent le feu et tuèrent un gardien. Le second, Roger, grièvement blessé à la jambe (on saura plus tard qu’il avait le fémur fracturé) courut quelques pas malgré la douleur et s’écroula sur le trottoir. Une seconde rafale immobilisa le chauffeur resté dans sa voiture. et Roger vit venir lentement vers lui le tueur qui se pencha, lui prit sa montre et lui logea une balle dans la tempe.

C’est six ou dix mois plus tard que Roger me raconta lui-même son aventure. La balle, tirée de biais, n’avait pas pénétré le crâne. elle avait glissé le long du pariétal entre os et chair pour ressortir par le frontal. Un vrai miracle. Réveillé à la Maison de santé du gardien de la paix, après un coma de plusieurs jours, en voyant les blouses blanches des infirmières, il s’était cru arrivé au Paradis.

« Qu’as-tu ressenti lorsque le type a tiré ? – J’ai compris tout de suite que j’étais foutu, j’ai entendu comme un formidable coup de gong et de suite, je me suis réveillé au Paradis. » Dominus vobiscum !

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